Infos — Mathieu Lion
« Interroger l’habituel. Mais justement, nous y sommes habitués. Nous ne l’interrogeons pas, il ne nous interroge pas, il semble ne pas faire problème, nous le vivons sans y penser, comme s’il ne véhiculait ni question ni réponse, comme s’il n’était porteur d’aucune information. [...]
Comment parler de ces “choses communes”, comment les traquer plutôt, comment les débusquer, les arracher à la gangue dans laquelle elles restent engluées, comment leur donner un sens, une langue : qu’elles parlent enfin de ce qui est, de ce que nous sommes.
Peut-être s’agit-il de fonder enfin notre propre anthropologie : celle qui parlera de nous, qui ira chercher en nous ce que nous avons si longtemps pillé chez les autres. Non plus l’exotique, mais l’endotique.»
Georges Perec, l’infra-ordinaire.
DÉMARCHE
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Ma pratique de l'anthropologie visuelle consiste à explorer nos relations au monde par le prisme d'un langage non verbal : celui des images, des signes – parfois leur association au son dans un film. C'est surtout un moyen d'orienter l'attention là où elle manque, de restituer à notre sensibilité ce que notre habitude semble dissimuler.
Il s'agit en fait de produire des liens, de se lier véritablement à des lieux ou des vivants qui, a priori, nous étaient indifférents. Le tissage à l’altérite se fait ainsi par la rencontre : rencontre que l’œuvre d'art a le pouvoir de faire advenir en un lieu amoral, où le jugement est suspendu, en apesanteur.
Puis on reprend pied, on atterri, mais pas intact. Après une rencontre, on se transforme mutuellement, et dans un même mouvement, on change nos lectures du monde : par contagion. On découvre ainsi des chemins nouveaux, et avec eux, de nouvelles manières d'être.
« La trouvaille artistique constitue une résolution inventive d'une tension de forme dans le système de soi et du monde que constitue la part d'irrésolu de l'artiste : elle configure à ce titre autrement pour l'artiste le branchement entre milieu intérieur et milieu extérieur, pour ouvrir des chemins neufs à la sensibilité, c'est-à-dire à l'intelligibilité de l'expérience vécue, c'est-à-dire aussi de nouveaux « chemins de l'action ». Parce que la part d'irrésolu n'est pas unique à chaque individu, mais profondément partagée, la trouvaille va alors pouvoir fonctionner comme une singularité pour faire réagir et prendre la métastabilité des autres : ceux qui un jour rencontrerons l’œuvre. »
Baptiste Morizot et Estelle Zhong-Mengual, dans Esthétique de la rencontre
(Seuil, 2018) p116
BIO
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Mathieu Lion, né en 1991, a obtenu un DNSEP à l'École Supérieure d'Arts et Médias de Caen en 2015. Initié aux sciences sociales avant d'être introduit à l'esthétique des formes contemporaines, son travail est motivé par une curiosité d'ordre anthropologique.
Mathieu Lion a été soutenu dans ses projets par la DRAC Normandie, la Région Normandie, les ministères de la Culture et de l'Éducation nationale. Ses photographies ont été publié notamment par le magazine États-unien Subjectively Objective, par le Label Combien Mille Records, par les éditions de la Crypte, ainsi que par la CAUE du calvados. Son travail a été exposé à Caen, Francfort (HfG Offenbach), et Detroit (Subjectively Objective).