« Le naturalisme selon Descola, c'est notre conception du monde : cette cosmologie occidentale qui postule qu'il y a des humains d'un côté qui vivent en société fermée, face à une nature objective constituée de matière de l'autre côté, comme un décor passif pour les activités humaines. Cette cosmologie prend pour évidence que la nature « ça existe » ; c'est tout ce qui est là-dehors, c'est cet endroit qu'on exploite ou qu'on arpente en randonneur, mais ce n'est pas là où l'on habite, ça, c'est sûr, parce qu'elle n'apparaît justement « là-dehors » que par distinction avec le monde humain dedans. »

    Baptiste Morizot, Sur la piste animale (Actes Sud, 2018, p19)





       



    La randonnée en itinérance, et plus particulièrement la pratique du bivouac, provoque chaque fois le même effet sur moi : elle rend familier des environnements a priori étrangers, exotiques. A force de gestes quotidiens et intimes, on désapprend à être « chez nous » en un lieu précis pour que le sentiment de familiarité se diffuse progressivement, soit tissé par de nouveaux rituels à de nouveaux lieux, chaque jour.

    Et la toponymie change subitement : le versant où les myrtilles sont bonnes, le lac où nous avons eu froid, le replat sur lequel nous avons dormi. On ne reste pas suffisamment longtemps pour marquer visiblement le sol. On essaye de ne pas laisser de traces. Par contre on s'imprègne : souvenirs du tapis d'herbe confortable ou du caillou qui blesse le pied.

    En collectionnant des images de ces lieux, je collectionne ces souvenirs auxquels on les lie. Au fil du chemin, l'intimité acquise invite les environnements dans nos intérieurs. On laisse petit à petit le dehors emménager dedans. On laisse la Nature dans l'habitacle de la voiture, dans le wagon du train, pour habiter un autre cosmos. Un monde aux frontières moins nettes. Où la toile de tente et sa porosité, sa souplesse, remplacent un temps les imperméables murs de nos maisons et les triples vitrages de leurs fenêtres.
Mark